Autodidacte, Éric de Paris est un jeune photographe camerounais qui s’est fait un nom dans l’univers de la photographie depuis quelques années déjà. Aujourd’hui patron d’entreprise, l’expert de l’image revient sur les rumeurs qui ont failli lui faire perdre le nord. Il était dans les locaux de Laura Dave Média où il a livré des pans cachés de sa carrière mais surtout son avis sur le conflit entre les peuples Tikar et Bamoun, dont il est originaire.
LDM : Bonjour Éric de Paris et bienvenu chez Laura Dave Média.
Éric de Paris : Bonjour, merci de me recevoir.
LDM : Pourquoi le nom Éric de Paris ?
Éric de Paris : Éric de Paris, c’est l’appellation d’enfance, de jeunesse. Pas pour dire que je suis vieux, mais jeunes, nous nous étions créé des surnoms et moi je m’appelais Éric de Paris. Nous étions encore au primaire, donc ça fait environs 20 ans et ça a continué jusqu’au secondaire.
À l’époque, quand j’entrais dans le monde professionnel, je portais ce nom, même sur les réseaux, mais après, j’ai changé pour mettre Éric MIMCHE, mon véritable nom et ce n’était plus moi car les gens me cherchaient toujours avec Éric de Paris. J’ai jugé mieux de revenir à Éric de Paris. Je me suis dit que c’est un peu plus populaire que mon nom de famille.
LDM : Vous développez une passion pour la photographie dès votre enfance, qu’est-ce qui en est à l’origine ?
Éric de Paris : J’étais beaucoup plus passionné par le monde des médias. Lorsque j’étais tout petit, un cousin et moi allions regarder la télévision chez un oncle, notamment l’émission Clip Box. Et à chaque fois, je lui posais la même question : pourquoi les gens changent d’habits alors que c’est le même jour ? J’étais tellement passionné, je voulais voir la magie du métier, je voulais connaitre comment ça se passe. C’est avec le temps que j’ai compris qu’il s’agissait de ma passion pour l’art, le visuel, tout ce qui est photo. Au secondaire, j’avais des voisins qui avaient des appareils photo, j’avais également un grand frère styliste qui avait un appareil photo que je prenais en cachette et j’allais faire des photos avec à l’école. J’étais tellement heureux lorsqu’on disait que c’est moi qui ai fait des photos. Du coup, lorsqu’il y avait des évènements à l’école, on faisait appel à moi. Je retirais mon argent pour imprimer ces photos. Certaines personnes remboursaient ma dépense, d’autres non.
LDM : A l’époque, vous étiez simple photographe mais, après, vous avez décidé de créer votre propre empire. Pourquoi ce choix ?
Éric de Paris : Au fur et à mesure, tu es entouré de personnes que tu vois grandir et faire des trucs. On a des personnes qui sont structurées autour de nous, auprès de qui tu vois comment les choses avancent tous les jours, tu te demandes ce que tu peux laisser comme héritage aux gens qui t’aiment. Après tu te dis que c’est mieux de créer quelque chose de solide et durable, même si tu n’es plus là demain, que la postérité sache qu’il y a eu quelque chose. C’est vrai qu’au début c’était très difficile, parce que j’avais des difficultés pour me déclarer à tout moment, je trouvais ça long. Même lorsque je travaillais pour des entreprises et qu’il fallait légaliser les documents, je trouvais cela long et ça me décourageait et je laissais tomber. Plusieurs personnes me disaient que je ne vais pas m’en sortir à cette allure car tôt ou tard, j’aurais besoin de ça.
LDM : Tu es aujourd’hui à la tête de ta propre entreprise, Cire Pixel. Qu’est ce qui t’a motivé à la mettre sur pied?
Éric de Paris : Je me dis qu’il faut toujours oser. C’est vrai que les gens le disent tout le temps, mais j’ajoute qu’il faut bien s’entourer aussi. C’est vrai que l’entourage facile n’arrive pas, mais quand vous êtes passionné, vous arrivez à vos fins. Le fait d’être partout m’a permis de me créer des liens. J’étais partout même lorsqu’on ne me payait pas. J’assistais aux concerts où parfois, ce n’était pas moi le photographe principal, mais il fallait juste être là et faire des photos. Dans ce genre de circonstances, lorsque tu rentres, tu te presses à traiter pour envoyer avant le photographe principal. En ce moment, l’organisateur du concert te remarque et te contacte. Avec le temps, tu te fais ton carnet d’adresses et tu rencontres d’autres personnes. Avec le temps, lorsque tu essaies d’expliquer ça, les gens ne te croient pas en oubliant que rien ne tombe du ciel, il faut toujours commencer quelque part. Parfois, c’est le sacrifice. Le mien est que souvent, je postais des concerts avec joie, pourtant je n’avais eu que la somme de 1000Fcfa pour le transport. Les gens de la famille pouvaient penser que j’ai reçu une grosse somme alors que ce n’était pas le cas, mais je leur disais le contraire, et j’étais fier. Ça me faisait travailler mon mindset.
LDM : Que penses-tu de la nouvelle génération des photographes camerounais ?
Éric de Paris : Je pense qu’ils sont un peu plus avancés que nous à nos débuts. C’était un peu difficile pour nous. Nous ne pouvons pas parler des mêmes sacrifices. Un jeune d’aujourd’hui est plus paresseux parce qu’il a des logiciels qui facilitent son travail. Lorsqu’il te demande 100.000 FCFA, si tu ne l’as pas, il ne couvre pas ton évènement. Pourtant, il faut un temps de sacrifice. C’est pour cette raison que même quand tu crées une entreprise, il te faut un temps de sacrifice, parce que tu sais où tu vas. Il faut qu’ils apprennent à se sacrifier. Il est vrai qu’en commençant, ils ont déjà leurs idoles et ils se projettent rapidement en se disant que s’ils ne sont pas comme tel ou tel, ça ne servira à rien. Alors qu’à l’époque, lorsque j’admirais une personne, j’entrais dans sa page par curiosité. Je regardais ses photos et j’en profitais pour voir où la personne avait commencé.
Si vous admirez quelqu’un qui ne vous connait même pas, allez sur page, cliquez sur sa photo de profil, allez même sur les premières photos et regardez. Vous verrez par exemple qu’à l’époque il était mince, il utilisait un appareil banal, alors vous comprendrez qu’il y a un processus d’évolution. Mais quand les jeunes de maintenant viennent, ils voient les photos où leur idole est déjà à Paris, ils veulent seulement être à ce niveau.
LDM : Comment gérer les exigences des clients sur les retouches photos ?
Éric de Paris : Ce que j’aimerais dire à ces clients c’est qu’ils se projettent dans 5 ou 10 ans où on aura besoin des photos souvenirs, où vous-même vous aurez besoin de vos souvenirs. Vous allez me dire si ces photos vous plairont toujours. Vous verrez que ce sont les photos les plus naturelles de nos parents et grands-parents qui sont toujours accrochées dans nos domiciles. Les photos artificielles c’est juste pour la période actuelle, après ça passe. Pour ceux qui viennent, ils savent déjà comment je fonctionne. Je fais des photos qui dans 5 ans vont te rappeler des moments et ça va te plaire. Ce n’est pas parce que je fais ça que je ne peux pas faire autre chose, mais lorsque vous me posez la question, je vous dis, ça ne sert à rien, à part si c’est à titre commercial, ça passe, parce que la clientèle actuelle veut ça. Mais à titre personnel, pour moi, faire ce genre de travail n’est pas mon dada.
LDM : Aujourd’hui, vous êtes élu meilleur photographe people de l’année 2024 au Cameroun. Que représente ce prix à vos yeux ?
Éric de Paris : Ce prix représente beaucoup pour moi. J’étais très fier et honoré. Quand on utilise son talent ou son art comme du plaisir et qu’en retour on est récompensé, c’est tellement grand que tu as envie de donner encore et encore. Je ne m’y attendais pas. Ça symbolise beaucoup pour moi, c’est pour cette raison que je l’ai encadré et accroché dans mon studio. Les choses qu’on me donne sont plus précieuses que celles que j’achète même si elles sont plus couteuses. J’ai instauré un truc, à chaque fois que je vais dans un évènement, sur le contrat je mentionne toujours que je veux du vin. Non pas parce que je ne peux pas me l’acheter, mais parce que j’ai une collection de vins chez moi. En décembre dernier par exemple, j’ai donné un vin à mon grand-père. Je lui ai dit que ce vin avait déjà fait six années chez moi et que je l’avais obtenu lors de la couverture de mon deuxième mariage. Il était tellement content.
LDM : Quels sont vos projets ? Comment vous voyez-vous dans 5, 10 voire 20 ans ?
Éric de Paris : D’ici 5 à 10 ans, je comprends qu’on peut être passionné mais il faut créer d’autres business à côté car le monde évolue. Aujourd’hui, c’est certes Éric de Paris, mais demain les choses peuvent changer dans ce domaine car les gens ont existé avant toi. Donc il faut toujours faire la mise à jour. Si on peut attraper autre chose, on le fait. Il faut se diversifier. Vous savez, je fais de la photographie, mais également des montages audiovisuels. J’ai l’intention de me diversifier dans plusieurs domaines sans négliger le domaine dans lequel les gens t’ont connu.
LDM : Comment définis-tu l’amitié ?
Éric de Paris : L’amitié est très sacrée pour moi parce que nous avons été élevés comme des enfants qui doivent être loyaux. Par exemple chez nous, on avait le reflexe de se lever lorsqu’un étranger entrait, qu’il soit ton ainé ou pas. Il faut être loyal. La loyauté doit être au fond de toi. On ne doit pas l’être parce qu’une personne le demande mais parce qu’on ressent ça. Cela doit être une exigence envers ta propre personne, donc pour moi, l’amitié est trop sacrée. En cas de trahisons, on se sépare.
LDM : Quels sont tes rapports avec Marcelle Kuetche et Stanley Enow ?
Éric de Paris : Pour des gens qui pensaient qu’à l’époque j’étais à coté de Marcelle Kuetche pour faire du lèche-botte, pour avoir quelque chose en retour, tu je vais leur dire que, le plus important c’est d’être en paix avec soi-même. Les gens sont allés jusqu’à dire que c’était ma petite amie, que je ne suis qu’un gigolo. Dans ces circonstances, si tu es faible d’esprit et n’as pas d’intégrité, tu auras des doutes.
Stanley Enow peut m’appeler et il ne me paie pas. Mais, si une autre personne m’appelle pour un travail, je privilégie Stanley Enow. Parce que notre relation est allée au-delà de l’argent. Tu as des personnes qui sont comme de la famille pour toi et peuvent t’assister lorsque tu es par exemple malade et couché sur un lit d’hôpital.
LDM : Vous êtes originaire du Noun, où vivent également les peuples Tikars qui sont par ailleurs vos ancêtres. Quelle solution préconiserais tu pour la résolution du conflit entre vos deux peuples ?
Éric de Paris : En tant que fils du Noun, je peux dire qu’il n’y a aucun conflit entre nos deux peuples. Nous sommes une famille et au sein des familles nous savons qu’il y a toujours des problèmes mais c’est la toiture qui cache tout ça. C’est vrai que c’est le jour où tu fais les problèmes avec ton frère au marché que les étrangers sont au courant, cependant les problèmes existent toujours. Même entre nous les Camerounais il y a toujours eu des problèmes, mais qu’on peut toujours résoudre parce qu’en réalité ce ne sont même pas de vrais problèmes. Mais des gens sont fiers de voir qu’il y a ces conflits là car, ça leur profite.
LDM : Un mot de fin…
Éric de Paris : Merci à Laura Dave Média de penser aux jeunes talents comme nous. J’étais agréablement surpris de savoir que vous vouliez me faire cet honneur, grandement merci. Vous faites un travail remarquable. Ce que vous faites permet aux plus jeunes de rêver grand.
LDM : Merci Éric de nous avoir accordé cet entretien !
Éric de Paris : C’est moi …
Propos recueillis par Mercedes BELEHEKA et Serge BONNY