Violation de vie privée, harcèlement, diffamation, intimidation, escroquerie, délinquance et autres actes criminels, l’utilisation d’internet et l’exposition aux réseaux sociaux ne sont pas sans conséquences sur la santé mentale des utilisateurs. Votre magazine Laura Dave Media a voulu dégager l’impact psychologique de ce fléau qu’est la cybercriminalité en interrogeant un expert de la santé mentale, le professeur Erero F. NJIENGWE, psychopathologiste et Chef de Service de Prise en Charge Personnalisée (CPP) à l’hôpital Laquintinie de Douala. Ses éclairages dans cet entretien exclusif.
Laura Dave Média : La cybercriminalité gagne de plus en plus de terrain dans nos sociétés. Nous constatons chaque jour les dégâts de ce fléau autant sur les victimes que sur les populations. Quelle lecture faites-vous de la société actuelle ? Pensez-vous qu’elle est mentalement malade ?
Pr Erero : Permettez-moi d’enfoncer une porte ouverte. Notre société semble amputée de la seule chose dont l’individu puisse se défaire virtuellement et rester vivant : le cerveau. Très peu de place est faite dans l’éducation à la connaissance de soi et d’autrui, aux ressources individuelles et collectives requises pour le bien-être partagé, la santé mentale collective qui à bien d’égards ici, mériterait un examen sérieux. En observant les taux et les formes de criminalité grandissants dans notre environnement, il serait irrationnel de croire que notre société soit mentalement saine.
Laura Dave Média : Quels peuvent être les impacts psychologiques les plus courants chez les individus exposés à la cybercriminalité ?
Pr Erero: Les victimes de crimes, quelle qu’en soit la forme (cybercriminalité ou pas), éprouvent ce qu’il est normal d’éprouver en cas d’atteinte à notre intégrité : émotions de colère, irritabilité, honte, tristesse, peur, croyances négatives sur soi (impression d’avoir été stupide ou d’être fondamentalement bête) ou sur autrui et le monde : comportements d’évitement ou de compensation, symptômes parfois discrets de perte de sommeil ou d’hypervigilance et plein de désordres somatiques : digestifs par exemple… pouvant entraîner d’autres cascades de comportements anormaux.
Laura Dave Média : Les victimes de cybercriminalités sont souvent terrées dans un long silence. Voir ses photos intimes, sa vie privée exposée sans commune mesure sur la toile est parfois traumatisant. Comment doivent-elles faire face après coup?
Pr Erero: Il peut être raisonnable de demander de l’aide, notamment celle de professionnels formés, afin de désamorcer ces traumatismes qui sont susceptibles de marquer et modifier durablement notre confiance en nous-même ou nos attitudes à l’égard des nouvelles technologies, le cyber-espace… Dénoncer aussi auprès des instances de lutte contre la criminalité, ces abus afin de contribuer au moins au renforcement des stratégies préventives lorsqu’elles existent.
Laura Dave Média : Quand s’inquiéter lorsque nous avons un proche victime de cybercriminalité, comment détecter les signes de détresse et comment soutenir la personne sur le plan émotionnel ?
Pr Erero: La personne peut développer des symptômes propres aux états cliniques fréquents chez les victimes d’accidents, d’agression, d’abus. Certaines vont essayer d’étouffer leur mal être en consommant des substances qui tranquillisent le cerveau mais qui vont l’installer dans des dépendances. D’autres vont apprendre à faire subir aux autres ce dont elles ont été victimes. D’autres encore vont renoncer radicalement par évitement pathologique, au contact avec tout ce qui renverrait au cyber-espace…
C’est dans des circonstances de cet ordre que l’entourage devrait se montrer compréhensif, mais très incisif, afin de pousser la victime à accepter une aide professionnelle.
Laura Dave Média : Existe-t-il des ressources ou des programmes spécifiques que vous recommanderiez aux victimes pour les aider à faire face à l’impact psychologique de la cybercriminalité ?
Pr Erero: Se cultiver, lire, apprendre à se connaître soi-même, développer son autonomie psychologique pour éviter les addictions et toutes formes de dépendances, travailler la relation de confiance avec des figures nourricières, se réaliser en cultivant des valeurs fortes : la solidarité, l’empathie, la science, la culture générale, la transcendance…
Laura Dave Média : Quels sont les principaux aspects à prendre en compte lors de la réintégration sociale et de la reconstruction de la confiance après une telle expérience ? Comment réapprendre à vivre ?
Pr Erero: Ici modestement, je dirais qu’une psychothérapie bien menée avec un professionnel compétent permet de gagner du temps. Cette prise en charge pourrait faire partie d’un dispositif plus vertueux de réhabilitation socio-professionnelle pour les cas les plus sévères.
Laura Dave Média : Et enfin, y-a-t-il des conseils ou recommandations que vous souhaiteriez partager avec les lecteurs sur la manière de vivre pour éviter une exposition à la cybercriminalité ?
Pr Erero: Les criminels ne sont pas stupides. Ils utilisent le camouflage et des appâts basés sur l’étude du comportement des utilisateurs du cyberespace pour engager avec une probabilité non nulle, des actions de ruse pouvant trouver un écho stimulant dans les appétits ou les faiblesses préalablement cernés des futures victimes.
Développer une estime de soi saine et positive, moins dépendre des stimulants externes : écrans, jeu d’argent, substances psychoactives… cultiver sa santé mentale en un mot nous rendrait plus autonomes psychologiquement et moins susceptibles de succomber aux appâts des prédateurs et autres imposteurs.
Merci de ne pas oublier que les auteurs, aussi forts et intelligents puissent-ils s’imaginer être, ne sont la plupart du temps, que des êtres vulnérables qui s’acharnent à masquer leur misère intérieure par des étincelles éblouissantes de leurs éphémères exploits.
Merci Professeur Erero de nous avoir accordé cet entretien.
Pr Erero: Merci de m’avoir sollicite pour cet échange.
Entretien mené par Rosy Mireille Nanjip