Figure emblématique du cinéma camerounais, Man No Lap célèbre ce 09 novembre 2024 ses 30 ans de carrière. Le self-made man a pu se frayer un chemin dans la cour des grands du continent africain, grâce à sa passion, sa détermination, sa résilience et surtout, son abnégation au travail. De passage dans les locaux de Laura Dave Média, le « Général Samba » nous a livré des secrets sur sa vie de père de famille, d’acteur et de réalisateur, les difficultés rencontrées, les relations avec ses collègues, entre autres, et son top 3 des meilleurs actrices camerounaises du moment.
LDM : Bonjour Monsieur Jean de Dieu Tchegnebe. Pourquoi le choix du sobriquet Man No Lap ?
Man No Lap : Lorsque je faisais la classe de sixième, j’étais quelqu’un d’assez comique parce qu’à chaque fois que je parlais, les camarades pouffaient toujours de rire et comme je ne comprenais pas l’anglais, le seul mot que je croyais prononcer en anglais était Man no lap, alors que c’était le pidgin. Et le fait de le dire tout le temps a poussé mes camarades a me surnommer comme ça.
LDM : Pourquoi le choix Man No Lap : Lorsque j’ai terminé le secondaire, j’ai dû me lancer dans le petit commerce étant donné que je sortais d’une famille démunie. C’est ainsi que je me retrouve à Douala et par la suite de commence à animer une discothèque. Un jour, j’ai écouté une cassette du président Tchop Tchop et du feu Tan dan dan. C’est ainsi qu’est né le déclic et je me dis qu’il faut que je fasse pareil, voilà pour la petite histoire.
LDM : Quelle était la réaction de vos parents à l’époque ?
Man No Lap : Je n’ai pas connu mon père, il est décédé deux mois avant ma naissance. C’est d’ailleurs pour cette raison que je porte le nom « Tchegnebe » qui veut dire en ma langue ‘’il n’y a personne à la maison’’. Quand je fais mon premier album de comédie en 1994, maman ne prend pas bien la chose. Parce que même quand j’étais au collège et que je faisais l’humour, les gens venaient lui dire que c’est un domaine de délinquants et de ratés. Elle n’a vraiment pas bien pris la chose, mais voyant l’appréciation et la reconnaissance du public quelque temps après, voir des gens me saluer partout, elle a commencé à me soutenir et à être très fière de moi, même si ça ne rapportait encore rien, mais la notoriété là lui faisait plaisir.du cinéma?
LDM : Pourquoi avoir choisi d’incarner un personnage handicapé moteur?
Man No Lap : Dans mon quartier à l’époque, il y avait un tonton handicapé qui est décédé par la suite. C’était ma façon à moi de lui rendre hommage. J’ai créé un personnage Man No Lap qui marchait comme lui et cela a tellement marqué les gens au point où chaque fois que je suis dans la rue, les gens m’interpellent pour me demander si je marche comme ça en réalité.
LDM : Pouvez-vous nous retracer votre parcours ?
Man No Lap : Mon parcours est vraiment long. Mais pour faire court, j’ai une vingtaine de productions dont 4 albums d’humour, 4 longs métrages et 15 séries télévisées en 30 ans de carrière.
LDM : Où tirez-vous les fonds pour vos productions ?
Man No Lap : J’ai fait des séries qui ont marché et rapporté un peu d’argent à l’époque et sortant d’une très pauvre famille, j’ai appris à économiser et chercher à investir. J’ai créé d’autres business qui me soutiennent au quotidien. Il faut également avouer qu’il y a des structures qui m’accompagnent dans la production de mes œuvres et qui croient en ce que je fais, je profite d’ailleurs de cette occasion pour leur dire ‘’MERCI’’.
LDM : Comment se passent les castings des acteurs chez vous?
Man No Lap : S’il est vrai que nous lançons toujours des castings, nous avons aussi un noyau avec lequel nous travaillons déjà et c’est ce noyau-là qui permet de former la relève. Donc lorsque nous avons un projet, nous faisons un casting les nouveaux qui n’ont pour la plupart aucune expérience, viennent travailler auprès de ceux qui sont déjà expérimentés, c’est ça qui permet d’avancer.
LDM : Quelles sont vos relations avec Dovie Kendo ?
Man No Lap : Je l’appelle affectueusement « Coco ». Elle est l’une des personnes avec qui j’ai débuté dans ce métier et une personne pour qui j’ai beaucoup d’amour et de respect. Nous gardons de bonnes relations. C’est vrai que dans la vie il arrive des moments où les gens peuvent être en froid pour plusieurs raisons mais après on comprend qu’on est appelé à travailler ensemble et à oublier un certain nombre de choses. Nous n’avons aucun problème. D’ailleurs je n’ai jamais été en guerre avec ma chère sœur Dovie Kendo. A un moment donné, elle était en colère contre moi, mais elle a compris plus tard que c’était pour rien. La preuve est que nous ne nous sommes jamais assis pour arranger nos problèmes, je pense qu’on s’est retrouvé un jour et on a compris qu’il fallait qu’on s’embrasse. Si elle a commis erreurs, elle m’a présenté ses excuses et vice-versa, parce que les querelles ne servent à rien. Je me souviens que lors des émissions, elle n’a jamais dit que je lui devais de l’argent, car je fais partie des personnes qui discutent beaucoup lors des contrats mais une fois que j’accepte, je respecte ma parole. Il s’est dit à un moment donné qu’elle et moi avions eu une aventure, c’est faux ! Je n’ai jamais eu d’aventure avec Dovie Kendo, l’idée ne m’est même jamais passée dans ma tête.
LDM : Pourquoi avoir attendu 30 ans de carrière pour célébrer ?
Man No Lap : J’ai commencé par célébrer 20 ans de carrière et après cinq ans je voulais également fêter les 25 ans, mais je me suis dit qu’il faut que je me prépare suffisamment pour faire un film qui, non seulement doit toucher le public camerounais, mais doit aller à l’international concourir dans de grands festivals. Et cette année j’ai sorti « Karamba » pour marquer mes 30 années de carrière.
LDM : Que pensez-vous des cérémonies de récompense au Cameroun ?
Man No Lap : Je vais être très dur. Je pense que les cérémonies de récompense au Cameroun ne valent rien et j’ai dit que je ne voulais plus qu’on mette mes œuvres en compétition dans les cérémonies de récompense au Cameroun. Ça fait tellement mal quand vous connaissez votre niveau et vous faites la différence entre l’humour, la comédie, le cinéma et qu’on se retrouve en train de vous mettre dans le même panier. Ça fait encore plus mal, lorsque vous avez payé des billets d’avion pour aller vous former et on vous met en compétition avec un gars qui fait le fou rire au quartier, ce n’est pas normal. Je parle des Awards en général, pas d’une seule cérémonie. C’est vrai qu’il y a quelques-uns qui se démarquent et essayent de bien faire, mais ce n’est pas encore ça. Les médias également devraient éduquer le public sur la différence entre l’humour et le cinéma, entre autres. Pour l’instant, ils ne le font pas.
LDM : Depuis la 1ere saison de la série « Le General Samba », vous traitez de plus en plus des problèmes que rencontre votre pays, le Cameroun. Est-ce que vous vous inspirez de tout ce qui se passe autour de vous ?
Man No Lap : J’ai commencé à préparer la série « Le général Samba » il y a plus de 5 ans. Quand j’avais regardé le film « Hôtel Rwanda », et que j’ai vu les conflits qui existent dans plusieurs pays africains, j’ai compris que les pays africains ont presque les mêmes histoires.
LDM : Pouvez-vous faire un classement top 3 de vos films et séries ?
Man No Lap : C’est difficile parce qu’à mon actif, j’ai plusieurs séries et longs métrages mais s’il fallait faire un choix je dirai « Un père de trop », « Pris dans son propre piège », « A qui la faute ». Quant aux séries je dirai « Amour et tradition », « Samba le général », saisons 1 et 3.
LDM : Quels rapports entretenez-vous avec vos collègues : Mitoumba, Blaise Ntedju, Fingon Tralala, Sélavie Newway et la défunte Mami Ton ?
Man No Lap : Mitoumba c’est mon frère jumeau. Nous avons de très bons rapports, nous ne sommes plus au niveau de l’amitié mais de la fraternité. Blaise Ntedju, je l’appelle généralement monsieur humilité car c’est une personne très humble, de très positif et de disponible. Fingon Tralala, je l’appelle affectueusement mon fou parce qu’il est toujours en train de me faire rire. Pour moi, c’est le Louis de Funès, version camerounaise. Selavie Newway, c’est ma tendre petite sœur. Elle est restée avec le même sourire, c’est une personne très joviale avec qui j’ai de très bons rapports. Mami ton et moi avions de très bons rapports. D’abord de grande sœur et petit frère, mais aussi de mère et fils parce qu’elle était toujours en train de donner des conseils.
LDM : Quelle appréciation faites-vous de la jeune génération d’acteurs camerounais ?
Man No Lap : La nouvelle génération veut aller très vite et ne veut pas apprendre. Les réseaux sociaux et la multitude des chaines de télévision leur donnent l’impression qu’il ne faut plus apprendre et qu’une fois qu’on a obtenu un petit rôle et qu’on est remarqué par le voisinage ou par quelques membres de la famille, on est déjà star. Conséquence, on ne veut plus rien apprendre et c’est pour cette raison que les gens critiquent la majorité de nos séries, parce qu’ils estiment qu’on ne fait pas comme ils veulent. Les jeunes ne veulent pas travailler, pourtant jusqu’à présent, malgré mes années d’expériences je continue d’apprendre, surtout lorsque je suis en face des ainés, je suis des ateliers de formation, que ce soit coté réalisation ou jeu d’acteur.
LDM : Votre top 3 d’acteurs et actrices les plus talentueux du Camer?
Man No Lap : Je n’aime pas faire ce genre de classement parce que ça frustre les autres et une fois que vous citez un nom, le concerné ne fait plus d’effort. Mais comme acteurs je dirai, Axel Abessolo, Alain Bomo Bomo et Hervé Gwet et chez les actrices, il y a Blanche Bilongo, Edith Moukam et Emy Dany Bassong.
LDM : En tant que producteur et réalisateur, il doit avoir beaucoup de difficultés dans le parcours…
Man No Lap : Nous avons un sérieux problème de financement. C’est vrai, il y a quelques entreprises qui soutiennent nos productions mais parfois ce n’est pas suffisant. Nous avons également des difficultés à avoir de très bons acteurs sur place, parce que tout le monde connait tout et lorsqu’une personne estime qu’elle connait tout, au final elle ne connait rien.
LDM : Un conseil à ceux qui veulent se lancer dans le cinéma ?
Man No Lap : Il faut juste travailler, se former parce que les choses ont évolué. Ce n’est plus comme avant où les gens pensaient qu’il suffisait d’imiter les faits et gestes des gens pour être un acteur. Si on veut vraiment faire carrière dans le cinéma, il faut se former pour être compétitif.
LDM : Avez-vous eu des conquêtes dans le domaine du cinéma ?
Man No Lap : Comme tout homme, j’ai déjà été tenté, mais je n’ai jamais eu de conquêtes. Quand tu sors avec une actrice, cela se sait tout de suite. Plusieurs ont dit que je sortais avec Edith Moukam, mais ce n’est pas vrai. J’interprète juste bien mes rôles, et les gens pensent que cela continue dans la réalité.
LDM : Parlez-nous de votre vie privée. Man No Lap est casé ?
Man No Lap : Oui. Je suis marié depuis 24 ans et j’ai 5 enfants avec qui j’entretiens une très belle relation. Mes enfants sont mes complices et ce sont les premières personnes qui lisent et apprécient tous les scénarii de mes films et séries. J’ai eu cette chance d’avoir une femme qui m’a compris depuis le début et a accepté le métier que je fais. Mes enfants également ont compris que le père est un acteur et tout ce qui va avec.
LDM : Qu’est ce qui a changé depuis le départ de votre maman, partie il y a quelques semaines ?
Man No Lap : J’appelais ma mère chaque matin et lorsque je ne le faisais pas, elle me bipait et commençait à s’inquiéter. Depuis son départ, c’est très difficile parce que personne n’a jamais voulu rester sans ses parents. Je n’ai pas eu la chance de connaitre mon père, d’ailleurs j’ai vu sa photo pour la première fois lorsque j’avais 30 ans. Ma mère a tout fait pour me donner une bonne éducation. Je prie qu’elle continue de veiller sur moi et sur toute sa famille de là où elle est. ( Man no lap en pleurs).
LDM : Après 30 ans dans le métier et des dizaines de productions, c’est quoi les projets pour la suite ? Le retraite ?
Man No Lap : Déjà, il n’y a pas de retraite en cinéma, ce n’est pas comme le sport où, à un moment donné, vous êtes obligé de vous reposer. Au contraire, c’est maintenant que ma carrière commence. Au cinéma il y a plus d’avantages pour les personnes âgées parce qu’elles sont rares. Je pense que quand j’aurais 40 ans de carrière, je vais couter plus cher que lorsque je jouais des rôles des jeunes de 30 ans. Je suis déjà sur 2 gros projets. J’ai commencé un de 200 épisodes qui s’appelle « Nos histoires » et je ne peux pas encore parler du deuxième parce qu’il est encore en phase de négociation.
LDM : Merci Man No Lap pour ce que vous faites pour le cinéma africain et merci de nous avoir rendu visite!
Man No Lap : C’est moi qui vous remercie. Merci à Laura Dave Media pour ce que vous faites pour la culture en général et le cinéma en particulier. Je suis très heureux pour l’invitation qui m’a été adressée. Je demande aux gens de continuer à soutenir la culture camerounaise, de continuer à critiquer ce que nous faisons parce que c’est ça qui nous fait évoluer.
Propos recueillis par Mercedes BELEHEKA